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3 mars 2013 sur le Lac des Deux-Montagnes. Je suis avec un ami et nous revenons de St-Placide vers Oka en downwind. J’avais choisi de faire le trajet par le côté nord du lac pour le simple plaisir de faire le trajet de St-Placide jusqu’au pont de glace d’un seul bord. Mon ami, peu à l’aise avec le trajet proposé, choisit plutôt de passer par le milieu du lac. En montant à St-Placide, je n’ai vu aucune trace d’eau, en particulier autour du phare de la Pointe-aux-Anglais, ce qui est inhabituel mais rassurant.
Au retour, tout se passe bien jusqu’à ce que j’atteigne l’île Ritté qui se situe tout juste en amont et au nord du passage étroit (la passe ou le goulot) entre Kanesatake-Oka et Hudson. Je décide de passer sous le vent de l’île. J’ai toujours suffisament de puissance dans ma voile et je continue d’avancer. Soudainement, la glace cède pendant que j’avançais. Je me retrouve à l’eau vive en étant projeté vers l’avant, cassant la mince couche de glace devant moi sur une dizaine de pieds. Heureusement, mes deux skis se sont défaits en tombant. Ce qui avait été jusque là une descente extraordinaire est devenu, en un instant, une descente aux enfers.
La sensation que j'ai eue en arrivant dans l’eau est indescriptible. Une chose est certaine, je n'ai senti absolument aucun froid. Je portais des sous-vêtements en laine de Morino, un pantalon léger et un manteau en Gore-Tex. La pression d'eau a fait en sorte que tous mes vêtements se collent contre ma peau et combinés à la montée d’adrénaline, aident à garder au chaud.
À ce moment, qu'est-ce que je fais? Il faut que je nage. Mes deux skis se sont défaits, j'ai des bottes de ski dans les pieds, j'ai un sac à dos, je ne pense pas à ça du tout, il faut simplement que je nage. Je n’ai pas pied. J'ai des mitaines dans les mains alors je commence à nager. À chaque fois que je nagais, la glace s'effritait. À chaque battement des bras pour me projeter vers l’avant, je cassais la glace devant moi. J'ai fini par atteindre une glace plus solide. Je me glisse sur la glace mais malheureusement, elle casse encore une fois sous mon poids. Alors je continue à tenter d’avancer et je criais. Il y avait un pêcheur de la communauté autochtone qui était au large et qui m'a entendu mais qui n’a pas semblé réagir. J'ai su après qu'il téléphonait aux services d'urgence. J'ai continué à avancer tout en cassant la glace jusqu'à ce que la glace soit solide.
Durant tout ce temps, j'essayais de me contrôler et surtout de ne pas paniquer. J'ai crié à l'aide autant que j'ai pu en pensant que personne ne m'entendait. Le pêcheur s'était approché avec sa motoneige en se tenant loin pour ne pas se retrouver dans la même situation que moi. J’avais réussi à me hisser sur la glace. Je suis resté dans l'eau glacée une bonne dizaine de minutes selon le pêcheur. Une fois sorti de l'eau, j’ai rampé plusieurs mètres pour m’assurer de la solidité de la glace. Je me suis relevé et à ce moment, le pêcheur m’a dirigé pour m’indiquer le meilleur endroit où passer pour éviter de me retrouver encore à l’eau. J’ai suivi ses indications pour aller le rejoindre.
Je trouvais excessivement essoufflant de marcher sur la glace. En arrivait près du pêcheur, il s'est excusé de ne pas s'être approché. Je l'ai rassuré en le remerciant d'être là, de m’avoir guidé et qu’il n'était pas nécessaire qu'il y en ait un de plus qui se retrouve dans l’eau. Pour atteindre la berge du lac, j’ai dû marcher environ 200 pieds, 300 pieds tout au plus. À chaque pas que je faisais, j'avais une respiration longue et pénible, un essoufflement incroyable. Mais je ne sentais aucun froid, sauf pour une engelure sur le pouce droit.
L'ambulance est arrivée et on est venu à mon secours. Au bord du lac, il y avait un muret d’environ un demi mètre de haut. À cet endroit, les deux jambes m'ont littéralement coupé, j’ai été incapable de le monter. Les ambulanciers m’ont hissé par-dessus le muret. Une fois sur le terrain, j’ai été incapable de marcher les quelques dizaines de mètres qui me séparaient de l’ambulance. J’ai finalement fait le trajet en motoneige. J’estime qu’à ce moment, ça devait faire une bonne vingtaine de minute, sinon plus, que j’étais tombé à l’eau.
Arrivé dans l'ambulance, déshabillage, couverture, direction l'hôpital le plus près (St-Eustache), ça presse. Il n'était pas question d'aller ailleurs comme moi je l'aurais souhaité, c'est à dire chez moi, dans le sous-sol, me changer en vitesse pour que ma femme ne soit pas au courant de cette histoire. À l'urgence, service immédiat: couvertures chaude, personnel attitré et constamment avec moi. On me demande comment je me sens et de parler continuellement pour ne pas somnoler ou dormir. Il était important que je regarde l'infirmière et que je demeure alerte. Je lui ai dit que je ne pouvais pas, que je ne pouvais plus, qu'il fallait que j'arrête de parler. Je suis très essoufflé. On me demande si j'ai froid, je lui réponds que non. Je sens que mon corps commence à vibrer un peu. Ils prennent les signes vitaux. L’infirmière continue à me poser des questions sans arrêt et je dois constamment la regarder. Ma température corporelle est d'environ 34°C (la température corporelle normale est autour de 37°C). Sans aucun doute ma température avait été prise quand je suis embarqué dans l’ambulance mais je n'en ai pas de souvenir. Je ne me souviens pas non plus de l’heure exacte à laquelle je suis arrivé à l’hôpital, que j’estime à environ 17h30. J’en suis sorti vers 20h30. Ma femme était venue me rejoindre avec des vêtements secs.
Avec le recul, j’en tire quelques conclusions :
- je n'ai pas été prudent dans mon choix de trajet ni attentif aux signes qui auraient pu indiquer une glace mince,
- faire de la voile avec un copain. Il peut appeler les secours et porter assistance dans la mesure où il ne se met pas en danger lui-même,
- avoir un sifflet à porté de bouche,
- garder ses mitaines, elles servent de palme,
- rester accroché au cerf-volant. S’il est possible que quelqu’un puisse s’en approcher de façon sécuritaire, il peut tirer sur les cordes pour aider à se sortir de l’eau,
- ne pas paniquer, ne pas s’époumoner à crier à outrance, toute l’énergie disponible doit être utilisée pour se sortir de l’eau ou à tout le moins pour se maintenir à flot,
- mon cellulaire ne m’a été d’aucune utilité. Il était dans mes vêtements, donc dans l’eau, et mes deux bras étaient occupés à nager,
- un cerf-volant à longues lignes peut servir de bouée pour que quelqu’un mal pris comme j’étais puisse s’y accrocher,
- être attentif aux signes apparents de faiblesse de la glace,
- rester loin du bord, des îles et des zones grisâtres,
- il est possible de s’en sortir, je l’ai fait. Je ne sais pas si j’aurais pu le faire si mes skis étaient restés fixés à mes bottes.
Ce serait intéressant et apprécié d'avoir vos commentaires et suggestions. Merci.